26 décembre 2010: "De la pornographie en Amérique "de Marcela Iacub (Fayard)

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Marcela Iacoub

 

Publié en avril 2010, cet ouvrage est entièrement consacré, comme l'indique son sous-titre, à la liberté d'expression aux États-Unis, aujourd'hui, "à l'âge de la démocratie délibérative".
Dans une première partie, l'auteure de Par le trou de la serrure. Histoire de la pudeur publique (XIXème-XXIème) montre à travers une analyse de  différents arrêts de la Cour suprême américaine, comment peu à peu s'est dégagée, notamment à partir des années 30, une jurisprudence "libertaire", excessivement favorable à la liberté d'expression, faisant apparaître celle qui existe en Europe "comme une sorte de soeur chétive et pauvre".
Brûler ou piétiner le drapeau par exemple est un "comportement expressif", qui n'est pas considéré comme un acte de destruction mais comme une opinion sur le pays. "Punir la profanation du drapeau ruine la liberté même qui fait que cet emblème est révéré et vaut la peine  d'être révéré". Porter atteinte à une représentation n'est pas porter atteinte à la chose représentée car le drapeau est une représentation de la nation, la nation n'est pas dans le drapeau.
Un homme poursuivi  durant la guerre du Vietnam pour s'être promené dans un palais de justice avec un blouson au dos duquel était inscrit "Merde au service militaire"  fut finalement acquitté au motif qu' "une des prérogatives  de la citoyenneté américaine réside dans le droit  de critiquer les responsables publics et leurs décisions - et cela ne recouvre pas seulement une critique informée et responsable, mais également la liberté de parler sottement et sans retenue." Conformément à cette logique, divers citoyens furent acquittés après avoir traité des policiers  de "foutus connards" ou avoir dit:  "Fils de pute blanc, je te crèverai".
La reconnaissance que la représentation démocratique peut sembler en distorsion, voire être une extorsion de la souveraineté du peuple,  que le  "dire" n'est pas  le "faire",  et qu'il est nécessaire de protéger les opinions minoritaires, est à l'origine d'une législation "la plus large et la plus généreuse" au monde, de la liberté d'expression, du droit à la parole, "richesse collective pour faire penser".
Même si la diffamation de personnages publics a été libéralisée, que la publicité commerciale est protégée par le 1er Amendement, il n'est pas encore possible de "tout dire" aux États-Unis.  Il est un domaine, sujet central du livre, totalement exclu de la protection de la loi : celui des messages à contenu sexuel, indécents, obscènes, pédopornographiques.
À partir d'un choix de différents cas - procès contre la première version de L'Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence, procès contre  Ulysse de Joyce, interdiction à toute personne de se montrer nue, y compris dans les établissements fermés aux mineurs proposant des spectacles de danse nue, interdiction de prononcer sur une radio ou une chaîne de télévision non cablée entre 6h du matin et 22h, ne serait-ce qu'une fois, des mots faisant allusion soit au sexe (fuck) ou aux excréments (shit) ... -  Marcela Iacub montre comment  s'est développée une législation d'exception dont le point culminant est la répression d'une nouvelle catégorie : l'image pédopornographique.
Comme elle l'explique, la nouveauté n'est pas dans le fait de pénaliser l'action de filmer ou de photographier des enfants en train d'être abusés - ce qui était déjà interdit - ni d'interdire la production ou la diffusion de documents obscènes produits avec des mineurs - ce qui était déjà prohibé. La grande nouveauté consiste maintenant à rendre illégal le fait même de regarder  l'image dite pédopornographique ou de la conserver à son propre domicile.
Le désir d'assécher le marché de la pornographie enfantine  a  ainsi créé une nouvelle catégorie d'image, à la définition large et floue, n'ayant aucune valeur sociale, ne pouvant bénéficier d'aucune possibilité de rachat  (artistique, pédagogique, documentaire, scientifique, politique) :  le seul fait de la regarder est condamnable.  Pourront-être qualifiées de pédopornographiques et tomber sous le coup de la loi, une image de synthèse réalisée avec des adultes paraissant mineurs, tout  comme  la photo de famille vous montrant bébé, nu(e) à la plage.
Ainsi est né un double système contradictoire et inquiétant car la nouvelle législation contre l'obscénité et les pensées  lascives,  commence à contaminer, sur un mode "cancérigène" certains contenus protégés auparavant par le 1er Amendement.

L'ouvrage de Marcela Iacub, (avril 2010), est antérieur à différents évènements survenus aux États-Unis et signalés sur l'Observatoire de la censure: interdiction d'un tee-shirt anti-Bush (9 mai 2010), décision de la cour d'appel de New York  déclarant  certaines règles de décence applicables aux médias contraires à la Constitution (20 juillet 2010 Vers un retour des "gros mots" à la télévision et à la radio), autodafé de la première édition  du livre Operation Dark Heart d'Anthony Shaffer  et  caviardage de la seconde édition (22 octobre 2010),  consignes données par le Pentagone à diverses catégories de citoyens (fonctionnaires, soldats, journalistes) interdisant l'accés à différentes informations révélées par WikiLeaks (13 et 21 décembre).
Par ailleurs, en France, le vote de l'article 4 de la loi Loppsi 2 contre la pédopornographie, autorise, par le biais de la protection de l'enfance, un filtrage d'internet sans autorisation de la  justice: il est considéré  comme "le cheval de Troie" permettant à terme une censure du net. (La Quadrature du net, 21-12-2010)

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