17 février 2011: Un journaliste condamné pour non-dénonciation de ses sources (France, 1960)

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G. Arnaud - Mon procès

 

Cela se passe en juin 1960. Georges Arnaud - écrivain (Le Salaire de la peur), dramaturge (Les aveux les plus doux), essayiste (Pour Djamila Bouhired cosigné avec Jacques Vergès) - comparaît devant le tribunal militaire de Paris, suite à son article publié dans Paris-Presse  le 19 avril  et intitulé "Les étranges confidences du professeur Jeanson".
Francis Jeanson est un de ces Français convaincus que "l'injuste et déshonorante" guerre d'Algérie est perdue, et qui pensent qu'une fois l'indépendance du pays acquise, il faudra que des liens soient encore possibles entre la France et le nouveau pouvoir. Il a mis en place un réseau qui héberge des responsables F.L.N., assure leurs déplacements clandestins, leurs liaisons Paris-province, leurs liaisons Paris-étranger, centralise et achemine vers la Suisse le produit des collectes faites auprès des Algériens vivant en France.
Le 24 février 1960, la presse révèle qu'une partie du réseau Jeanson a été démantelée. Ses membres arrêtés seront jugés en septembre. (voir Observatoire de la censure,  5-9-2010, Les Temps modernes et le Manifeste des 121).
Mais Jeanson a réussi à s'échapper. Recherché par toutes les polices de France, il organise en plein Paris, le 15 avril, une conférence clandestine devant 15 journalistes. Parmi eux, un seul Français, Georges Arnaud. Jeanson explique que "à deux ou trois arrestations près, le reste de l'organisation est intact, et continue d'assumer ses tâches de transport et de liaison". Il confirme que si treize millions de francs ont été saisis, le réseau continue à faire sortir chaque mois  "400 millions"  pour le compte du F.L.N. Il annonce que le réseau qui, par l'intermédiaire du groupe "Jeune Résistance", organise à l'étranger une aide à environ 3.000 déserteurs et insoumis, va s'attacher à grossir ce chiffre au cours des prochains mois.
Deux jours après la publication de son compte-rendu de la conférence de Jeanson, Arnaud est arrêté par la D.S.T.
Après deux mois d'incarcération à Fresnes, il est jugé par un tribunal militaire pour non-dénonciation. D'après l'article 104, il risque au maximum dix ans d'emprisonnement.
Le jour du procès, les journalistes qui viennent témoigner à la barre  sont unanimes. Tous, de droite comme de gauche, (Bernard-Derosne et Robert Lazurick de L'Aurore,  Claude Estier de Libération, Marcel Haedrich de Marie-Claire, Yvan Audouard et Pierre Lazareff de Paris-Presse, André Fontain de France -Soir ) développent la même thèse que Roger Priouré du Figaro : "Un  journaliste  n'a ni le droit ni le devoir de dénoncer un individu recherché, même pour atteinte à la sûreté de l'État, s'il l'a rencontré professionnellement... C'est  en tout cas une question d'honneur. Car il deviendrait un auxilliaire de la police et de la justice."
Malgré les interventions de Joseph Kessel, Sartre, Pierre Vidal-Naquet, des éditeurs Jérôme Lindon, François Maspero, malgré la plaidoirie de Courrégé pour la liberté de la presse et le droit des journalistes de tenir secrètes leurs sources d'information, Arnaud est condamné à deux ans de prison avec sursis. (Mon procès de Georges Arnaud, illustré par Siné, Minuit, achevé d'imprimer 24 février 1961)

 

Dessins Siné - Mon procès de G. Arnaud

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