21 février 2010: Lire “Dommage(s), à propos de l’histoire d’un baiser”

Publié en juillet 2009 chez Actes Sud, ce livre revient sur une affaire polémique, un cas exemplaire qui questionne la sacralisation de l’oeuvre d’art, le rôle des musées, la place attribuée au spectateur. Débat toujours d'actualité.
Le 7 juillet 2007, une jeune femme d’origine cambodgienne, Rindy Sam, avait endommagé avec son rouge à lèvres en lui donnant un “bisou”, une oeuvre de l’artiste américain Cy Twombly, exposée à la Collection Lambert en Avignon.
L’oeuvre, un monochrome blanc, était un élément d’un triptyque intitulé Phèdre - référence à Platon - estimé par son propriétaire deux millions d’euros.
Relâchée après une garde à vue de plus de 10 heures, Rindy Sam avait été jugée en novembre 2007 pour “vandalisme”. Le tribunal correctionnel d’Avignon l’avait condamnée à 100 heures de travaux d'intérêt général, à verser un euro symbolique de dommages-intérêts au peintre et 1.500 euros à la Collection Lambert. En juin 2009, à Nîmes, elle avait été cette fois condamnée à payer 18.840 euros à la Collection Lambert, au titre des frais de restauration de la toile, et 1.000 euros pour les frais de défense des plaignants.
À l’époque des faits, Éric Mézil, directeur de la Collection Lambert en Avignon avait déclaré que, depuis Judas, “on sait qu’un baiser peut donner la mort”. Il avait aussi parlé de “viol”, de “dommage irréparable”. L’artiste Bertrand Lavier avait considéré l’acte aussi scandaleux que la destruction par les talibans, en 2001, des bouddhas de Bâmiyân. D’autres artistes avaient reproché à la Rmiste d’avoir agi sans l’accord de l’ auteur de l’oeuvre, et ils l’avaient classée parmi ces loosers frustrés, désespérés, “qui poursuivent le succès en s’attachant à celui des autres”.
D’un autre côté, Patrick Levieux, ami de Rindy Sam, avait défendu et légitimé un acte d’amour qui, selon lui, ne souillait, ni de détériorait l’oeuvre de Twombly. Il avait demandé que l'empreinte, la marque du baiser rouge ne soit pas effacée.
Après l’organisation à l’automne 2007 de J’embrasse pas, une exposition qui se voulait pédagogique, Éric Mézil avait poursuivi et enrichi le débat en février 2008 avec un colloque intitulé Votre rouge à lèvres a laissé des traces.
Ce sont les textes des différentes communications qui sont reproduits dans le livre Dommage(s), accompagnés d’archives, de photos et de nouvelles contributions. Au total, onze points de vue qui éclairent l'oeuvre de Twombly et, en creux, le geste de Rindy Sam, sans épuiser son interprétation. Parmi les diverses contributions, on pourra noter, pour l’histoire, celle de Barbara Blanc chargée (ironie du sort) de la restauration du monochrome maculé, celle de l’avocate Agnès Tricoire qui constate que, pour la première fois, un tribunal a jugé qu' "une oeuvre comportant une partie monochrome était protégeable par le droit d’auteur”, ou celle de Denis Riout. L'auteur de La peinture monochrome, histoire et archéologie d'un genre rappelle comment dans les musées, “enceintes anesthésiées”, les visiteurs sont amenés à censurer leurs affects, refouler les désirs éveillés par les images, nier les pulsions qu’elles attisent. Même quand certains artistes les y provoquent. Et Riout de citer Duchamp (Prière de toucher), Man Ray (Objet à détruire), Carl André qui amène le spectateur à marcher sur ses oeuvres, Felix Gonzalez-Torres qui l’invite à prendre dans sa bouche des “Baci”. Riout évoque aussi les réactions des artistes devant leurs oeuvres détériorées par le temps, accident ou vandalisme: “Ad Reinhardt se contentait de passer de nouvelles couches sur ses tableaux abîmés.” Allan Charlton détruit une de ses oeuvres, propriété publique, griffonnée par un vandale et en produit une nouvelle version. Quant à Marcel Duchamp, confronté à la “brisure” de son Grand Verre, il se fait vitrier. “Trente ans plus tard, alors que le réseau de fêlures appartient définitivement à l’oeuvre, il confiait à Pierre Cabanne que cela lui paraissait "beaucoup mieux avec les cassures, cent fois mieux”.
Le 7 juillet 2007, une jeune femme d’origine cambodgienne, Rindy Sam, avait endommagé avec son rouge à lèvres en lui donnant un “bisou”, une oeuvre de l’artiste américain Cy Twombly, exposée à la Collection Lambert en Avignon.
L’oeuvre, un monochrome blanc, était un élément d’un triptyque intitulé Phèdre - référence à Platon - estimé par son propriétaire deux millions d’euros.
Relâchée après une garde à vue de plus de 10 heures, Rindy Sam avait été jugée en novembre 2007 pour “vandalisme”. Le tribunal correctionnel d’Avignon l’avait condamnée à 100 heures de travaux d'intérêt général, à verser un euro symbolique de dommages-intérêts au peintre et 1.500 euros à la Collection Lambert. En juin 2009, à Nîmes, elle avait été cette fois condamnée à payer 18.840 euros à la Collection Lambert, au titre des frais de restauration de la toile, et 1.000 euros pour les frais de défense des plaignants.
À l’époque des faits, Éric Mézil, directeur de la Collection Lambert en Avignon avait déclaré que, depuis Judas, “on sait qu’un baiser peut donner la mort”. Il avait aussi parlé de “viol”, de “dommage irréparable”. L’artiste Bertrand Lavier avait considéré l’acte aussi scandaleux que la destruction par les talibans, en 2001, des bouddhas de Bâmiyân. D’autres artistes avaient reproché à la Rmiste d’avoir agi sans l’accord de l’ auteur de l’oeuvre, et ils l’avaient classée parmi ces loosers frustrés, désespérés, “qui poursuivent le succès en s’attachant à celui des autres”.
D’un autre côté, Patrick Levieux, ami de Rindy Sam, avait défendu et légitimé un acte d’amour qui, selon lui, ne souillait, ni de détériorait l’oeuvre de Twombly. Il avait demandé que l'empreinte, la marque du baiser rouge ne soit pas effacée.
Après l’organisation à l’automne 2007 de J’embrasse pas, une exposition qui se voulait pédagogique, Éric Mézil avait poursuivi et enrichi le débat en février 2008 avec un colloque intitulé Votre rouge à lèvres a laissé des traces.
Ce sont les textes des différentes communications qui sont reproduits dans le livre Dommage(s), accompagnés d’archives, de photos et de nouvelles contributions. Au total, onze points de vue qui éclairent l'oeuvre de Twombly et, en creux, le geste de Rindy Sam, sans épuiser son interprétation. Parmi les diverses contributions, on pourra noter, pour l’histoire, celle de Barbara Blanc chargée (ironie du sort) de la restauration du monochrome maculé, celle de l’avocate Agnès Tricoire qui constate que, pour la première fois, un tribunal a jugé qu' "une oeuvre comportant une partie monochrome était protégeable par le droit d’auteur”, ou celle de Denis Riout. L'auteur de La peinture monochrome, histoire et archéologie d'un genre rappelle comment dans les musées, “enceintes anesthésiées”, les visiteurs sont amenés à censurer leurs affects, refouler les désirs éveillés par les images, nier les pulsions qu’elles attisent. Même quand certains artistes les y provoquent. Et Riout de citer Duchamp (Prière de toucher), Man Ray (Objet à détruire), Carl André qui amène le spectateur à marcher sur ses oeuvres, Felix Gonzalez-Torres qui l’invite à prendre dans sa bouche des “Baci”. Riout évoque aussi les réactions des artistes devant leurs oeuvres détériorées par le temps, accident ou vandalisme: “Ad Reinhardt se contentait de passer de nouvelles couches sur ses tableaux abîmés.” Allan Charlton détruit une de ses oeuvres, propriété publique, griffonnée par un vandale et en produit une nouvelle version. Quant à Marcel Duchamp, confronté à la “brisure” de son Grand Verre, il se fait vitrier. “Trente ans plus tard, alors que le réseau de fêlures appartient définitivement à l’oeuvre, il confiait à Pierre Cabanne que cela lui paraissait "beaucoup mieux avec les cassures, cent fois mieux”.
Un portrait de Rindy Sam : link