18 juillet 2011: "Décoloniser l'esprit " de Ngugi wa Thiong'o

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Décoloniser l'esprit - Ngugi wa Thiong'o

 

Présent à la "Conférence des écrivains africains de langue anglaise", organisée en 1962, à l'université Makerere de Kampala en Ouganda, l'écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o réalise alors que les auteurs écrivant dans l’une ou l’autre des langues africaines n'ont pas été invités. « Comment a-t-il été possible que nous, écrivains africains, fassions preuve de tant de faiblesse dans la défense de nos propres langues et de tant d’avidité dans la revendication de langues étrangères, à commencer par celles de nos colonisateurs ? »  se demande -t-il? La prise de conscience que la langue du colonisateur, langue de référence et instrument de réussite, contribue à l’éradication des langues autochtones écrites et parlées, dévalorise et détruit les cultures des peuples colonisés en contrôlant leur univers mental ainsi que leurs représentations du monde, d’eux-mêmes et de leurs rapports aux autres, est à l'origine de "Décoloniser l'esprit", écrit et publié en 1986. Désormais l'écrivain n'écrira plus en anglais, seulement en kikuyu, sa langue maternelle.
La parution, en 2011, du livre traduit en français est l'occasion de revenir sur le parcours de Ngugi wa Thiong’o. Né en 1938, dans une famille paysanne, Ngugi wa Thiong’o est témoin, durant la colonisation britannique, des injustices infligées à son peuple. À l’indépendance du Kenya (1963), il dénonce les nouvelles élites qui, à ses yeux, reproduisent et perpétuent la soumission à l'ancienne puissance impérialiste. Il publie sa première pièce de théâtre "L'Hermite noir". Dans son premier roman "Enfant, ne pleure pas", il aborde les tensions entre Blancs et Noirs, entre culture africaine et influence européenne, à une époque (1952-1956) où les insurgés kikuyus, plus connus sous le nom de Mau Mau, se lèvent contre l'autorité anglaise.
En 1977, sa pièce écrite en kikuyu, Ngaahika Ndeenda (Je me marierai quand je voudrai), est jouée par des paysans et des ouvriers de son village natal, Kamiriithu. Suite au succès de la pièce, il est incarcéré  dans la prison de haute sécurité Kamiti durant une année. À sa sortie, il publie un essai, Journal d’un écrivain en prison et  son premier roman en kikuyu, Caitaani Mutharabaini (Le Diable sur la croix). Écrit en partie «dans les marges et entre les lignes» d'une Bible qui était dans sa cellule et sur du papier hygiénique, le roman est une satire acerbe des profiteurs et des exploiteurs qui ont fait main basse sur le pays.
En 1982, Sa pièce  Maitu Njugira  est interdite et le théâtre où elle devait être jouée est rasé.
Son roman Matigari (1986) met en scène un ancien guérillero mau-mau, revenu demander des comptes aux nouveaux dirigeants.  Le livre écrit en kikuyu est censuré et les exemplaires saisis. Les écrits de Ngugi wa Thiong’o sont retirés des bibliothèques.  "Si grande est la force de la narration de Ngugi que le gouvernement kenyan de l’époque lança un mandat d’arrêt pour capturer ce justicier fictionnel, avant d’interdire le livre" rapporte Tirthankar Chanda (RFI, 05-09-2004). L’auteur fait alors l’objet d’une tentative d’assassinat qui le pousse à l’exil en Grande-Bretagne puis aux États-Unis.

Après plus de 20 ans d'exil, l'écrivain revient au Kenya le 31 juillet 2004. Quelques jours après leur arrivée, l'écrivain et sa femme sont agressés en pleine nuit dans leur appartement par quatre personnes armées. Il est frappé et brûlé au visage, la femme de l'écrivain est violée sous ses yeux.
ll est actuellement professeur et directeur de l'International Center for Writing & Translation à l'Université de Californie à Irvine. On peut lire de lui en français: Enfant ne pleure pas, Monde noir, Poche, n° 20, 2001 -  La rivière de vie, Présence africaine, 1988 ; Pétales de sang, Présence africaine,1985.

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